TUNISIE : Liste de surveillance de la Catégorie 2
La Tunisie est un pays d’origine et de destination, et éventuellement de transit, d’hommes, de femmes et d’enfants victimes du travail forcé et de la traite sexuelle. Selon une étude de référence publiée en 2013, de jeunes ressortissants tunisiens sont victimes de diverses formes de traite. Cette étude affirme que quelques jeunes Tunisiennes, provenant pour la plupart du nord-ouest du pays et travaillant comme domestiques auprès de familles fortunées à Tunis et dans de grandes villes de la côte, font l’objet de restrictions de déplacement, d’actes de violence physique et psychologique et d’abus sexuels. Des organisations internationales ont signalé une présence accrue d’enfants des rues et d’enfants issus des campagnes qui travaillent pour aider à subvenir aux besoins de leurs familles en Tunisie depuis la révolution de 2011 ; selon l’étude de référence, ces enfants sont exposés au travail forcé ou à la traite sexuelle. Des Tunisiennes auraient été contraintes de se prostituer après de fausses promesses d’emploi dans le pays et ailleurs dans la région, notamment au Liban, aux Émirats arabes unis et en Jordanie. Des organisations de la société civile ont fait mention d’une augmentation du nombre de femmes, principalement d’Afrique de l’Ouest, victimes de la servitude domestique dans des résidences privées de Tunis, Sfax, Sousse et Gabès. Des migrants fuyant les troubles dans des pays voisins continuent de s’exposer à la traite des personnes en Tunisie. Des responsables des forces de sécurité ont signalé en 2014 que des gangs organisés forcent les enfants des rues à voler, mendier et transporter des stupéfiants. Le gouvernement de la Tunisie ne se conforme pas entièrement aux normes minimales pour l’élimination de la traite des personnes, mais il fait des efforts importants dans ce sens. Malgré ces mesures, il n’a globalement pas accru ses efforts de lutte contre la traite des personnes par rapport à la période visée dans le rapport précédent. Par conséquent, la Tunisie est placée sur la liste de surveillance de la Catégorie 2 pour la quatrième année de suite. En vertu de la Loi sur la protection des victimes de la traite des personnes, la Tunisie a obtenu une dérogation au déclassement obligatoire en Catégorie 3 car son gouvernement a affecté des ressources suffisantes à un plan écrit qui, s’il était mis en œuvre, signifierait qu’il fait des efforts importants pour se conformer aux normes minimales. Comme durant la période visée par le rapport précédent, le parlement n’a pas adopté de projets de loi contre la traite des personnes et, en raison de l’absence d’un cadre juridique, le gouvernement n’a pas donné de mission précise aux responsables gouvernementaux pour qu’ils combattent efficacement les infractions de traite des personnes. Le gouvernement a déclaré avoir lancé des enquêtes et des poursuites dans le cadre d’infractions potentielles de traite des personnes mais en l’absence de détails sur ces affaires, il n’a pas été clairement établi si ces trafiquants, ou combien parmi eux, ont jamais fait l’objet de sanctions adéquates. Le gouvernement n’a pas exécuté intégralement de directives sur l’identification des victimes ou le mécanisme national d’orientation des victimes. Par conséquent, certaines victimes de la traite n’ont pas été identifiées et demeurent exposées à des sanctions pour avoir commis des actes illégaux en conséquence directe de leur situation de victimes de la traite des personnes. Toutefois, les autorités ont identifié certaines victimes de la traite et leur ont fourni des services de protection dans des centres gérés par l’État pour des groupes vulnérables. Bien que les comités interministériels établis par le gouvernement pour lutter contre la traite des personnes soient demeurés en activité durant la période visée par le présent rapport, les obstacles d’ordre politique, économique et sécuritaire en Tunisie ont empêché le gouvernement de consacrer des ressources et d’accorder son attention aux questions liées à la traite des personnes.
RECOMMANDATIONS À L’INTENTION DE LA TUNISIE :
Promulguer des lois contre la traite des personnes qui interdisent et sanctionnent convenablement toutes les formes de traite des personnes en vertu du Protocole de l’ONU de 2000 sur la traite des personnes ; en l’absence de législation, invoquer les dispositions pénales en vigueur pour poursuivre en justice les auteurs d’infractions de traite des personnes et pour sanctionner les contrevenants en les condamnant à des peines de prison ; mettre en œuvre des procédures officielles pour identifier les victimes de la traite parmi les groupes vulnérables, dont les enfants des rues, les migrants en situation irrégulière, les travailleurs domestiques et les personnes qui se prostituent, et former les fonctionnaires à leur usage ; mettre en œuvre intégralement le mécanisme national d’orientation des victimes afin d’assurer que toutes les victimes de la traite des personnes sont aiguillées vers des services de protection adéquats et former les forces de l’ordre et les autorités judiciaires à l’emploi des méthodes appropriées pour orienter les victimes vers des prestataires de soins ; fournir des services adéquats de protection à toutes les victimes de la traite en les distinguant des autres groupes vulnérables, y compris en leur offrant un refuge et des services de réadaptation adéquats, et faire en sorte que les personnels travaillant dans les centres gérés par l’État soient formés à l’administration de soins spécialisés aux victimes de la traite ; assurer que les victimes ne sont pas punies pour avoir commis des actes illégaux en conséquence directe de leur situation de victime de la traite des personnes, dont la prostitution et la contravention aux lois d’immigration, et intensifier la formation sur la lutte contre la traite des personnes à l’intention de tous les responsables du gouvernement.
POURSUITES JUDICIAIRES
Le gouvernement a mené des actions limitées de répression contre la traite des personnes et n’a pas encore adopté le projet de législation contre cette pratique déposé devant le parlement en mai 2014. L’absence d’une loi a considérablement entravé les efforts de répression, dont la collecte de données et la gestion des cas ; elle a également contribué à l’incapacité du gouvernement à distinguer la traite des personnes d’autres infractions. Dans diverses dispositions légales disparates, si le code pénal interdit certaines formes de traite des personnes, il prévoit des peines qui ne sont pas suffisamment strictes ni en mesure avec les peines prévues pour d’autres infractions graves, dont le viol. Les peines prévues pour le viol vont de cinq ans de prison à la peine de mort. Le code pénal prescrit des peines allant de un à trois ans de prison lorsque des adultes sont contraints de se prostituer, des peines qui ne sont ni proportionnées ni suffisamment sévères. Le code pénal prescrit des peines allant de trois à cinq ans de prison en cas de traite sexuelle impliquant un mineur, des peines qui sont proportionnées et suffisamment sévères. Le code pénal ne prévoit que des peines allant de un à deux ans de prison lorsqu’un contrevenant a contraint un enfant à mendier et des peines allant jusqu’à 10 ans de prison pour l’enlèvement ou la séquestration d’une personne à des fins de travail forcé. Comme durant la période visée par le rapport antérieur, le gouvernement n’a pas communiqué de données sur les poursuites judiciaires et les condamnations d’auteurs de traite des personnes en raison de l’absence d’un cadre juridique contre cette pratique. Toutefois, le ministère de l’Intérieur a signalé avoir mené des enquêtes sur plus de 500 cas d’exploitation sexuelle de femmes et sur 41 cas impliquant des enfants contraints de mendier en 2015, ce qui représente une augmentation considérable dans le nombre d’enquêtes par rapport aux 25 cas éventuels de traite des personnes en 2014. Le ministère de la Justice a transmis des données sur les poursuites engagées au titre d’autres infractions durant l’année civile 2014, dont la mendicité, la prostitution, les enlèvements et les viols mais vu l’absence de détails supplémentaires, aucune de ces affaires ne semble être en rapport avec des infractions de traite des personnes. Le ministère a également fait état de poursuites engagées contre 81 contraventions au code du travail en 2015 mais n’a pas signalé si ces cas impliquaient des affaires de traite des personnes. Il n’a pas signalé d’enquêtes, de poursuites ou de condamnations de responsables du gouvernement pour complicité dans des actes de traite des personnes. Au cours de la période visée par le présent rapport, le gouvernement a dispensé des formations à l’intention de responsables judiciaires et des forces de l’ordre ainsi que de responsables d’autres ministères compétents.
PROTECTION
Le gouvernement a déployé des efforts limités pour identifier les victimes de la traite et leur fournir des services de protection, tandis que des victimes non identifiées ont continué d’encourir des peines pour avoir commis des actes illégaux en conséquence directe de leur situation de victime de la traite des personnes. En 2015, le gouvernement a identifié et secouru trois victimes tunisiennes de la traite des personnes qui avaient fait l’objet d’exploitation à l’étranger et a fourni une aide à 20 victimes identifiées par une organisation internationale comme étant victimes de la traite en Tunisie. Malgré ces efforts, ceci représente une diminution par rapport aux 59 victimes identifiées par le gouvernement en 2014. Bien que certains responsables des forces de l’ordre, de l’immigration et des services sociaux aient reçu une formation pour identifier des victimes de la traite au sein de populations à haut risque, le gouvernement ne disposait pas de procédures officielles d’identification des victimes et n’a pas appliqué de politiques et procédures systématiques pour protéger les victimes non identifiées contre les sanctions légales encourues pour la commission d’actes illégaux en conséquence directe de leur situation de victimes de la traite des personnes, dont les femmes qui se prostituent, les victimes de la traite des enfants à des fins d’exploitation sexuelle ou les migrants en situation irrégulière. Une organisation internationale a signalé en 2015 que la police avait placé en garde à vue une victime de la traite sexuelle pour avoir enfreint la législation contre la prostitution avant de la libérer sans inculpation ; le gouvernement n’avait alors fourni aucun service de protection à cette victime. Le gouvernement a maintenu un mécanisme national d’orientation des victimes permettant aux responsables d’aiguiller les victimes de la traite vers des centres d’accueil gérés par l’État ou vers des refuges gérés par des ONG. Toutefois, on ne connaît pas précisément le nombre de victimes aiguillées vers des services de protection par les responsables du gouvernement au cours de la période visée par le présent rapport. Le gouvernement n’a pas affecté de crédits budgétaires précisément à la fourniture de services de protection aux victimes de la traite mais le ministère des Affaires sociales (MAS) aurait fourni plus de 250 000 dollars É.-U. à des organisations de la société civile pour que celles-ci fournissent des services sociaux à des populations vulnérables, y compris des victimes de la traite. Trois de ces centres gérés par le MAS pour servir des populations vulnérables à Tunis, Sousse et Sfax sont restés à la disposition de victimes de toutes sortes de trafic. Le centre ouvert à Tunis comptait un bureau exclusivement réservé aux victimes masculines et féminines de la traite, avec un travailleur social formé, qui proposait des examens médicaux et des tests psychologiques. En 2015, ce centre a aidé 11 enfants victimes d’exploitation sexuelle et sept enfants contraints de mendier. Le MAS a également continué de faire fonctionner des centres pour les populations vulnérables, dont des victimes de la traite, des victimes de violence domestique et d’agressions sexuelles, des demandeurs d’asile, des mineurs non accompagnés et des personnes sans domicile fixe. Les centres offraient une aide alimentaire, un logement, des vêtements, une aide juridictionnelle, des soins médicaux, une instruction pour les enfants victimes et des services psychologiques mais l’on ne connaît pas avec certitude le nombre de victimes de la traite qui ont bénéficié de services dans ces centres au cours de la période visée par le présent rapport. Agissant en coordination avec des organisations internationales, le gouvernement aurait offert des permis de séjour temporaire et des services de rapatriement à des victimes de la traite de nationalité étrangère mais n’a pas fait état du nombre de victimes ayant reçu ces services au cours de la période visée par le présent rapport. Par ailleurs, les victimes de la traite n’étaient pas autorisées à chercher un emploi légal tant qu’elles n’avaient pas reçu leur permis de séjour temporaire. Les autorités n’avaient aucune politique en place pour encourager les victimes de la traite à apporter leur concours aux poursuites en justice des auteurs de la traite ; elles ne proposaient pas non plus aux victimes étrangères de la traite des alternatives légales à leur renvoi vers des pays où elles pourraient rencontrer des difficultés ou subir des représailles.PRÉVENTIONLe gouvernement a amélioré ses efforts de prévention de la traite des personnes. Le groupe de travail interministériel chargé de lutter contre la traite des personnes s’est réuni quatre fois en 2015 pour coordonner les politiques contre cette pratique, avec des représentants de la société civile et d’organisations internationales. En mai 2015, le ministère de la Justice a formé un comité national intérimaire sur la traite des personnes, composé de points focaux pour la traite des ministères compétents. Ce comité s’est aussi réuni quatre fois au cours de la période visée par le présent rapport afin de mettre à jour le plan national d’action contre la traite des personnes, d’arrêter le texte définitif du projet de loi contre la traite des personnes et de coordonner les efforts des ministères compétents contre cette pratique. Au cours de la période visée par le présent rapport, le gouvernement a mis en œuvre certaines parties de son projet de plan national d’action contre la traite des personnes en ce qui a trait à l’aide aux victimes et aux activités de prévention mais n’a pas réalisé d’activités de répression ou mené des actions judiciaires comme le prévoit le plan en raison de l’absence d’un cadre légal contre la traite des personnes susceptible de soutenir ces activités. Au cours de la période visée par ce rapport, le gouvernement a entrepris de multiples campagnes de sensibilisation du public pour lutter contre la traite des personnes. Le gouvernement a fait état d’activités visant à réduire la demande de travail forcé. Pour prévenir les pratiques frauduleuses de recrutement de travailleurs, le ministère de la Formation professionnelle et de l’Emploi a ordonné à 26 bureaux de recrutement non agréés de s’inscrire officiellement au registre du ministère et a engagé des procédures contre 15 agences de recrutement pour non-observance des règles du travail. Le gouvernement n’a pas fait état d’efforts déployés pour réduire la demande d’actes sexuels tarifés ou de pédotourisme. Le gouvernement a dispensé des formations en matière de lutte contre la traite des personnes à son personnel diplomatique.